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Xavier Ricou - Senegalmetis

Le 20 mai 2020 j’ai effectué cet entretien avec Xavier Ricou. Il poste très régulièrement des images d’archives Sénégalaises sur les réseaux sociaux, toujours accompagnées de descriptions très précises des lieux et des personnes. J’ai décidé de le contacter dans le cadre de ma recherche. Etant métis moi-même j’étais également intéressé par son identité et la relation qu’il a avec son travail d’archives et de généalogie.

Capture d’écran 2020-09-02 à 14.19.57.
Pierre-Antoine : Je vais tout d’abord te demander de te présenter, dire qui tu es et ce qui t’as motivé à lancer cette page Facebook, cette page senegalmetis ?
 
Xavier : Mon nom est Xavier Ricou, Je suis, malgré mon nom et mon apparence d’origine Sénégalaise, ma maman est Sénégalaise. Je suis Architecte de formation. J’ai lancé ce site et cette page Facebook senegalmetis pour des raisons familiales. J’ai voulu en savoir plus sur les origines de ma famille et les recherches m’ont amené à m’intéresser à l’Histoire du Sénégal et à l’iconographie. Comme je trouvais cette histoire passionnante j’ai voulu la partager le plus possible sous forme de site internet, de cours que je donne, de livres quand je peux en publier, d’expositions et parfois de conférences. Je pense que l’origine est assez lointaine car quand j’étais enfant mon grand-père, le père de ma mère, tenait l’arbre généalogique de la famille. J’ai hérité de son travail à sa mort. Un jour j’ai voulu tout numériser et venir au Sénégal pour en savoir plus sur les uns et les autres.
 
Pierre-Antoine : Donc ce travail de généalogie est la source de ton déménagement au Sénégal ?
 
Xavier : J’ai passé mon enfance au Sénégal jusqu’à mes dix ans, j’y suis retourné en vacances. Habitant sur l’île de Gorée j’ai commencé à m’imprégner de l’Histoire et puis un jour… j’ai toujours considéré cette recherche comme un jeu de piste, une enquête. En m’amusant je me disais que mes ancêtre me demandaient de le faire jusqu’au jour ou un oncle m’a apporté les archives de mon grand-père. A la première page il y avait des instructions dans lesquelles il me demandait de poursuivre son travail. Donc c’est ce que j’ai fait.
 
Pierre-Antoine : Te considères-tu comme métis, blanc, noir? Peux tu te définir si tu en as envie ? 
 
Xavier : J’ai l’habitude de dire que je suis Français en France et Sénégalais au Sénégal. A la fois Français et Sénégalais. Je n’ai aucun souci par rapport au métissage et c’est même devenu pour moi un principe de vie. Plus j’avance dans l’âge et plus je me rends compte que tout est métis, qu’on est tous métis. Pas seulement les individus mais aussi les objets qui nous entourent. Tout est mélange de plusieurs matériaux, d’origines différentes… Rien n’est pur et on est tous métis qu’on le veuille ou non. Dans le cadre de mon travail, c’est devenu pour moi une manière de considérer les choses, cela me donne plus de recul, de tolérance. La tolérance est importante quand je suis confronté à d’autres idées. J’essaie d’ouvrir les esprits. Tout n’est pas blanc et noir. Il n’y a pas d’un côté les indigènes, comme on disait autrefois et de l’autre les colons. Tout est beaucoup plus compliqué que cela. J’ai dans ma généalogie des ancêtres Noirs esclaves et des Blancs négriers. Je n’en tire aucune fierté, la vie est comme ça mais c’est ce qui fait ma richesse. Cela fait longtemps que je me suis auto-pardonné. Je n’ai pas besoin de m’indemniser. Nous sommes tous comme cela. Ceux qui se disent cent pour cent Peul, Wolof, ceci ou cela… sont forcément issus de mélanges. On ne connaît pas nos ancêtres, ni notre Histoire. On ne sait pas ce qu’ils ont fait, ni pourquoi. Pourquoi leur a t-on donné une médaille ? C’est intéressant de le savoir. J’essaie de partager cette Histoire de la manière la plus détachée sans trop d’émotion. Bien entendu cela ne peut pas être totalement neutre donc je reçois quelques réactions, mais je refuse qu’on m’enferme dans un camp. Je fais partie des deux.
 
Pierre-Antoine : J’ai lu aussi que tu as participé au développement du rayonnement culturel de la ville de Saint-Louis.
 
Xavier : C’est dans le cadre de ces travaux généalogiques que j’ai entrepris il y a une quinzaine d’années que j’ai souhaité revenir au Sénégal pour en savoir plus sur la famille. Demander des portraits d’ancêtres à ma famille, des anecdotes sur leurs vies. J’ai pu collecter énormément d’informations. Je me suis rendu à Saint-Louis qui est la ville d’origine de notre famille et là-bas j’ai appris que l’UNESCO recherchait un Architecte pour faire le plan de sauvegarde de Saint-Louis donc j’y ai posé ma candidature et j’ai été accepté. C’est comme cela que j’ai repris pied au Sénégal.
 
Pierre-Antoine : J’aimerai faire un peu la même chose et venir faire des recherches à Saint-Louis sur ma famille. Faire des recherches depuis la Belgique ou la France est très compliqué, il y a plein de témoignages et anecdotes qui ne sont pas accessibles à distance.
 
Xavier : Oui effectivement, ceci-dit, Galandou Diouf est un parlementaire donc il a forcément beaucoup d’archives en France, en ligne ou d’autres. Il doit y  avoir de gros dossiers militaires, parlementaires.
 
Pierre-Antoine : Il y a effectivement de nombreuses archives à la BNF, à l’Assemblée Nationale, les archives Galandou Diouf qui retracent le périple du recrutement des tirailleurs avec Blaise Diagne dans toute l’Afrique de l’Ouest. Est-ce que c’est un personnage dont tu es familier ?
 
Xavier : Pas du tout, je vois juste la personnalité qu’il est. On a une connexion car son prédécesseur à l’Assemblée, qui était Blaise Diagne, a été élevé par un membre de ma famille. Galandou Diouf et Blaise Diagne ont été amis, puis adversaires. Il y a un livre Naissance du Sénégal Contemporain de Wesley Johnson qui raconte très bien cette période là, des différentes élections et autres. Il parle de Diouf, Diagne, de toutes ces figures qui ont participé à l’émergence de cette société Sénégalaise contemporaine, qui aujourd’hui sont vus comme des traîtres évidemment car ils étaient du côté des colons, ils ont participés au recrutement des tirailleurs. C’est idiot de penser comme cela mais c’est cela la tendance dominante actuellement.
 
Pierre-Antoine : C’est assez ambigu car il y a des écoles qui portent leur nom, des rues…
 
Xavier : Les gens n’ont pas réalisé encore. L’ancien lycée Van Vollenhoven, qui était le lycée prestigieux de Dakar qui a formé beaucoup de jeunes qui aujourd’hui ont des postes à responsabilités, ce lycée portait le nom d’un ancien Gouverneur du Sénégal. Un homme qui d’ailleurs s’était opposé à Blaise Diagne car il s’opposait au recrutement des tirailleurs. Il s’est opposé, a démissionné, a demandé sa mutation. Il a eu un comportement héroïque si on peut dire. On a retiré son nom du lycée pour l’appeler Lamine Gaye. Personnage qui portait une grande sympathie pour les Français. Il y a certaines ambigüités dues au fait que certaines personnes ne connaissent pas l’Histoire.
 
Pierre-Antoine : Par rapport à la recherche généalogique, as-tu des conseils ? Par où commencer pour une recherche à Dakar, Saint-Louis, Gorée ? Les institutions aident-elles? Les archives sont-elles en bon état ?
 
Xavier : Alors, il y a des archives partout. Aux Archives Nationales du Sénégal, en France, souvent se sont de doubles, mais pas toujours. Il y a plein de services qui ont leurs archives, les archives juridiques, des hôpitaux, militaires. Il y a énormément d’archives privées, des personnes qui ont conservées des documents, des lettres, des photos  concernant leurs ancêtres ou l’Histoire du Sénégal. Et il y a de nombreux documents accessibles sur internet que ce soit aux ANOM – Archives nationales d’Outres Mers. Des photos sur des sites de ventes aux enchères. Le plus difficile est de savoir où trouver ce que l’on cherche.
 
Pierre-Antoine : En ce moment je fais une recherche à la fois sur ma famille Périgourdine et Sénégalaise et le mode de recherche des documents que l’on trouve sur la base des ANOM n’est pas comparable avec celui de l’INSEE ou l’on peut rechercher avec le nom.
 
Xavier : Avec un nom ce n’est effectivement pas possible, il faut avoir une date de naissance ou une date de décès précise et à ce moment là on peut arriver a remonter très haut. Les premiers registres d’état civils remontent peu après 1700. Je m’intéresse à l’Histoire de toutes les familles métisses du Sénégal, donc j’ai une base de données assez complète et qui est loin d’être achevée car je n’ai pas le temps pour m’y consacrer. Les Archives Nationales du Sénégal sont extrêmement riches, on peut y consulter des ouvrages, les photographier. Personnellement, je n’y vais pas. Pour un motif idiot et personnel. Je sais que si je rentre aux Archives Nationales je n’en sortirai plus jamais. Il y a trop de documents qui m’intéressent là bas. Le moindre bout de papier avec une signature m’intéresse et je veux le photographier donc j’y passerai mes journées. J’attendrai peut-être la fin de ma vie pour y faire un saut. J’ai suffisamment de recherches personnelles à faire dans ma propre documentation pour aller aux Archives Nationales mais ce n’est pas l’envie qui m’en manque.
 
Pierre-Antoine : Dans ma recherche j’essaie de retrouver des femmes Sénégalaises qui ont joué un rôle important sur des tendances communes, des influences dans l’artisanat, qui ont donné le ton a des modes qui ont traversé les frontières régionales pendant l’époque coloniale. Je suis à la recherche d’images, de croquis, de tissus anciens. Il y a le livre du Colonel Frey, qui présente des estampes et des gravures mais ce que je recherche ce sont plus des témoignages, des archives.
 
Xavier : Ce que je n’ai pas dit tout à l’heure c’est qu’il y a de nombreuses archives privées, en France en particulier. Si tu trouves les descendants du Colonel Frey il serait intéressant de savoir si il y a encore quelque chose de conservé. J’ai acheté il y a peu de temps les archives de Pinet Laprade (1863) qui a été Gouverneur au Sénégal. Cela représente un millier de lettres et des albums photos incroyables. Lorsque l’on recherche sur un personnage illustre comme Galandou Diouf il est intéressant de rechercher ses descendants pour retrouver des archives. L’exemple du Colonel Frey est intéressant car les illustrations de son ouvrage sont des illustrations anciennes. Il a écrit son livre dans les années 1890 mais les illustrations datent de 1840 ou 1850. Il a utilisé de vieilles images pour son ouvrage. Si tu retrouves les dessins originaux c’est là que cela devient intéressant. J’ai publié dans le passé de dessins originaux de Signares, avec des détails très précis, en couleurs.
 
Pierre-Antoine : J’imagine que les tissus, les détails sont bien plus précis.
 
Xavier : Bien sur, il y a même parfois le nom de la personne qui porte le vêtement.
Ce sont des choses comme cela que l’on trouve au fil de l’eau, sans le rechercher précisément. Les archives du peintre Darondeau, du peintre Nousveaux, tout cela permet de faire de belles trouvailles.
 
Pierre-Antoine : Quels ouvrages sur les Signares conseilles-tu ?
 
Xavier : Sur les Signares je peux conseiller certains ouvrages, celui de Guillaume Vial, qui st très bien et précis, bien qu’il n’ait jamais mis les pieds au Sénégal.
 
Pierre-Antoine : Effectivement, j’ai rencontré Guillaume Vial lors d’une conférence à La Sorbonne et c’est l’une des critiques qui a été faite sur son ouvrage, le fait que toute cette recherche ait été faite à distance sans prendre en compte les témoignages oraux, les archives glanées lors de rencontres avec des Sénégalais.
 
Xavier : Je suis d’accord, mais c’est un travail très sérieux, bien documenté, un vrai bon travail. Il y en a un autre qui te sera plus difficile à retrouver. Je l’ai écrit. Sur l’Iconographie du Sénégal Colonial dans lequel il y a une section qui parle des Signares. Il est sorti en 2006 ou 2007.
 
Pierre-Antoine : Il y a aussi la styliste Oumou Sy… 
 
Xavier : Oui, elle habille des Signares pour des occasions spéciales, défilés et manifestations. C’est probablement celle qui les habille le mieux. Elle choisit les meilleurs tissus, ses Signares sont vraiment très belles. D’ailleurs à l’occasion d’une exposition de photographies j’avais demandé à Oumou Sy de présenter deux Signares. Elles étaient exceptionnelles.
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